Les défis des prochaines décennies en France et dans le monde sont étroitement liés aux effets de l’Anthropocène ». « L’ère de l’homme est venue bouleverser en profondeur les équilibres territoriaux. En effet, l’activité urbaine, devenue majoritaire en France, comme dans le monde, impacte aussi le futur de la France territoriale. 80 % des habitants résident aujourd’hui dans 20 % du territoire et les perspectives pour les prochaines décennies s’inscrivent toujours dans cette logique, où l’emprise, poids et rayon d’influence de la vie urbaine et la métropolisation posent la question de la place de la ruralité à l’horizon 2050.
Trois éléments majeurs, très imbriqués, se posent dans cette perspective à 30 ans :
- Le changement climatique et ses effets dans chacun de nos territoires
- les menaces sur la biodiversité, en particulier par rapport à l’artificialisation des sols et l’étalement urbain;
- les approvisionnements énergétiques face à l’exigence d’une neutralité carbone à l’horizon 2050.
Le dépassement en mai 2019 du seuil de 415 ppm de CO2 dans l’atmosphère matérialise une menace grave pour notre avenir. L’objectif de limiter à l’horizon 2050 à 450 ppm de CO2 est ainsi sérieusement compromis. Cette situation signifie déjà l’impossibilité de respecter le niveau de l’augmentation de la température inférieure aux 2 °C prévus par les Accords de Paris. La territorialisation de la projection à l’horizon 20b0 de la montée des températures dans le scénario intermédiaire A1B du GIEC, montre comment par exemple, la première région agricole de France, le Grand Est, serait touchée avec des pics de température caniculaires de l’ordre de 45 °C à 55 °C.
Il est donc urgent de limiter ce réchauffement, mais aussi de s’adapter (rapport du GIEC d’octobre 2018), face à l’érosion de la biodiversité (Plan national biodiversité préconisant “zéro artificialisation nette”), à la déprise agricole et au changement des attentes de nos citoyens qui seront de plus en plus présents (2 millions de signataires de la pétition pour le climat). Les terres arables captent le carbone : les 30 premiers centimètres des sols agricoles et naturels contiennent, en France métropolitaine, 3,7 milliards de tonnes de carbone, soit 70 t/hectare, qui est l’équivalent des émissions de CO2 annuelles de 50 personnes en France (Planétoscope 2019).
Les effets systémiques territoriaux complexifient la situation par le développement urbain et ses conséquences sur la biodiversité. L’artificialisation des sols en France représente l’équivalent d’un département tous les 10 ans. Les effets sur les sols fertiles, combinés avec le péril climatique, menacent à l’horizon 2050 l’indépendance agricole et alimentaire.
Le stress hydrique croissant menace également à cet horizon la ressource en eau, ce qui est parfaitement visible déjà, avec par exemple les niveaux bas records d’il y a quelques mois du Rhin et ses impacts économiques croissants en Allemagne, en France et aux Pays-Bas.
Sans aucun doute, il y a urgence à redoubler la mobilisation de tous les acteurs autour de ces défis majeurs. Pour être dans une approche de neutralité carbone à l’horizon 2050 et limiter les émissions de Gaz à effet de serre, aux 450 ppm de C02, cela implique, concernant les territoires et la ruralité, des changements indispensables à très grande échelle touchant les systèmes énergétiques et l’usage des sols avec l’impératif d’un autre modèle de développement pour repenser les modèles d’aménagement, de déplacement, de production et de consommation.
Pour la France des décennies à venir, il est indispensable de se positionner dans une démarche d’alliance territoriale. À la place d’une métropolisation à outrance, vidant de son sens la ruralité et ses ressources, il s’agit de développer une approche forte des poly-centralités capables d’irriguer les territoires et permettant la création de nouveaux modèles économiques, énergétiques, d’usages des sols et des services.
Le potentiel des territoires à moyenne et faible densité, en incluant la ruralité, offre des ressources en termes d’énergies renouvelables constituant un atout majeur pour l’indispensable transition énergétique : forêts, vents, déchets agricoles, espaces ensoleillés. Cette capacité à produire de l’énergie doit être accompagnée d’un nouveau modèle de coopération territoriale, permettant de développer une coopération vers les zones urbaines de proximité en déficit d’autonomie énergétique.
Le modèle énergétique français devra ainsi tenir compte de ce besoin de développement des ressources locales territoriales. Il deviendra vertueux de faire émerger de cette alliance territoriale, entre les villes et zones denses, les zones moins denses et les ruralités, des nouveaux modèles économiques y compris en favorisant des nouvelles approches. Les villes ne pourront jamais devenir auto-approvisionnées et elles auront toujours besoin des terres nourricières de la ruralité. L’urgence climatique demande également une transformation du modèle de services par rapport aux émissions de Co2. Elles devront être le vecteur pour l’émergence de nouveaux modèles économiques et des services.
D’une approche punitive, les années à venir devront voir apparaitre, grâce aux nouvelles technologies, le big data et l’IA, des systèmes de compensation locaux, territoriaux, qui viendront favoriser les pratiques vertueuses. A la manière des « monnaies locales » incitatives pour le développement de l’économie circulaire, les “bonus” par la virtuosité en CO2 associes à des micro-contrats et micro-services deviendront un vecteur clé pour l’encouragement des nouvelles pratiques. Une nouvelle économie rurale aura besoin d’un accès permanent au haut débit, qui devra être considéré comme un ” bien commun”. Il sera au coeur de cette transformation. Cette nouvelle ruralité avec une armature urbaine construite en relation avec les « villes moyennes » sera un atout pour la France des métropoles, avec laquelle elle ne doit pas être en concurrence mais
en complémentarité.
Le concept “d’armature urbaine” devient ainsi une nouvelle approche d’ingénierie territoriale qui pourra, dans les 30 ans avenir, changer les paradigmes par un travail de proximité. Le défi français dans cette perspective est de réinventer la proximité. De relocaliser par les ” territoires de la demi-heure ” les fonctions sociales essentielles et leur accessibilité dans ce rayon pour avoir un mode de vie apaisé: se loger, travailler, s’approvisionner se soigner, s’éduquer, s’épanouir. Au coeur de cette vision, la circularité de la vie territoriale et la « haute qualité de vie sociétale, HQVS » comme leitmotiv. Les mobilités, un grand enjeu des territoires, seront traitées à la source par la montée en puissance de cette hyper-proximité qui enlèvera la pression sur le besoin de la voiture thermique et les trajets en auto-solisme. La mutualisation des ressources ira de pair avec cette démarche.
La question de la gouvernance sera au coeur du champ des possibles. La centralisation que nous connaissons aujourd’hui devra laisser la place à une très large décentralisation pour que les territoires deviennent vertueux et apaisés. Une décentralisation politique avec la construction des nouveaux espaces de décision est essentielle. C’est une trajectoire possible mais nous devons la prendre dès maintenant.