Par Carlos Moreno, Professeur, Expert Ville intelligente humaine Médaille de la Prospective 2019 de l’Académie d’Architecture
Nos villes-monde, partout sur la planète, concentrent encore et toujours l’essentiel de l’activité humaine, mais elles sont encore portées par le paradigme de l’ère du pétrole et de ses impacts sur la voirie et l’urbanisme en général. L’ère de la voiture omniprésente, associée à un mode de vie fondé sur la propriété de son véhicule comme élément de statut social, est encore présente, mais elle vacille. A l’heure des effets très visibles de l’impact climatique dans nos vies urbaines, une prise de conscience, heureusement, se généralise concernant nos villes devenues irrespirables par le triple effet des émissions produites par les bâtiments, les réseaux de chaleur et de froid, et le transport à essence tous azimuts.
Comment concilier alors le développement irréversible d’un monde urbain avec les besoins impératifs liés à une réelle qualité de vie ?
La transition énergétique, avec le changement de paradigme vers des sources décarbonées et renouvelables, est une priorité, certes, mais sera bien dérisoire, si elle n’est pas accompagnée d’une ambitieuse politique urbaine de convergence avec une transformation radicale de nos modes de vie. A l’heure où les transports sont devenus le premier émetteur de CO2, il s’agit de concilier les exigences de la ville durable sur le plan énergétique mais bien au-delà, il s’agit avant tout de mettre en cause nos rythmes de vie urbains.
Oui, un nouveau chrono urbanisme doit être au cœur de notre feuille de route pour les années à venir. Oui, il faut être créatif et imaginer, proposer, construire d‘autres rythmes de vie, d’autres manières d’occuper l’espace urbain pour transformer son usage, pour accéder aux fonctions sociales urbains essentielles. Oui, préserver notre qualité de vie, passe par d’autres rapports entre ces deux composantes essentielles de la vie urbaine: le temps et l’espace.
Vivre autrement, c’est avant tout changer nos rapports avec le temps, essentiellement celui de la mobilité, qui a dégradé fortement la qualité de vie par des déplacements coûteux à tout point de vue. Comment offrir aux urbains une ville apaisée en satisfaisant ses fonctions sociales urbaines indispensables ? Il est temps d’aller non plus vers l’aménagement de la ville mais vers l’aménagement de la vie urbaine. Il s’agit d’opérer une transformation de l’espace urbain encore fortement mono fonctionnel, avec la ville centre et ses différentes spécialisations vers une ville polycentrique, portée par 4 composantes majeures : la proximité, la mixité, la densité, l’ubiquité afin d’offrir cette qualité de vie dans les courtes distances, celle des six fonctions sociales urbaines essentielles qui sont : habiter, travailler, s’approvisionner, se soigner, apprendre, s’épanouir.
C’est la ville du ¼ d’heure, en zone compacte, (ou du territoire de la ½ heure en zone semi ou peu dense), de l’hyper proximité, de « l’accessible » à tous et à tout moment… Celle où, en moins de 15 minutes, un habitant peut accéder à ses besoins essentiels de vie. C’est un défi qui concerne l’ensemble des acteurs de la vie urbaine et qui demande à chacun de reconsidérer son rôle dans cette vie urbaine pour s’ouvrir vers d’autres horizons, porteurs d’une haute qualité de vie sociétale.
Il s’agit alors de rapprocher la demande de l’habitant de l’offre qui lui est proposée, d’assurer une mixité fonctionnelle en développant les interactions sociales, économiques et culturelles, d’assurer une densification non négligeable, tout en augmentant les espaces de rencontres et de brassage publics, d’optimiser la palette de services grâce au numérique et aux modèles collaboratifs et de partage, de faire devenir les rues des espaces de mobilités décarbonnés par la découverte à pied ou en vélo, de réinventer les nouvelles hyper-proximités, de redécouvrir la biodiversité dans son lieu de vie en encourageant des circuits courts.
Faisons alors de telle sorte que le numérique soit alors un facteur de lien social, d’inclusion et non pas un facteur d’exclusion ou de génération des « zombie-geeks », ceux / celles qui sont massivement connecté.e.s et socialement déconnecté.e.s, avec le corollaire des bulles et fakes, pris comme des « vérités a priori ».
C’est aussi mailler nos hyper-proximités pour vivre dans nos villes avec des services publics de nouvelle génération, des services multimodaux et partagés. C’est aussi le défi de ré inventer les communs urbains.
Plus que jamais cette hyper-proximité sera source de nouveaux modèles économiques et sociaux dans nos villes, et ils sont aujourd’hui en émergence. Retrouver la vie urbaine de proximité c’est quitter la mobilité subie pour la mobilité choisie. C’est une autre manière d’habiter la ville, pour que le lien social existant dans la proximité fasse partie de cette haute qualité de vie. C’est rendre à la ville, ce qui elle possède de plus précieux, être un univers de vie, de retrouver son métabolisme, comme tout organisme vivant, de rendre la ville vivante et pour tous.
Dans cette approche, oui, le végétal, la biodiversité, qui font partie du vivant, sont essentiels. Ils capturent le carbone, et participent aussi au métabolisme de l’ensemble de la vie urbaine. Mais le végétal est aussi un facteur d’attractivité et de qualité dans les rapports humains en ville. Au-delà du fait de fixer le carbone, le végétal fixe aussi l’humain. Toutes les études montrent que la ville compacte, même très dense, qui a su intégrer le végétal dans l’univers de la vie quotidienne, est une ville dans laquelle ses habitants réduisent les déplacements dits « d’échappatoire », pour aller « chercher du vert ». Cela a donc un effet direct aussi sur les mobilités, et va dans le sens de l’amélioration du chrono urbanisme, de la ville du ¼ d’heure, permettant de bénéficier d’une haute qualité de vie sociétale, en se déplaçant à tout au plus un quart d’heure de chez soi.
Végétalisation et hydrologie vont de pair. Gérer la ressource eau fait partie des préoccupations qui doivent se trouver aujourd’hui au cœur de la vie urbaine. Le changement d’attitude par rapport au cycle de vie de l’eau en ville, est l’un des besoins majeurs à affronter dans la prochaine décennie. Avec la ville du ¼ d’heure, le maillage de proximité, la ré-invention du chrono urbanisme, il prend tout son sens et devient d’une portée stratégique quand la convergence végétalisation, nature et eau se projettent dans la transition urbaine vers cette haute qualité de vie sociétale.
Oui, avec le changement climatique, les canicules, le stress hydrique de plus en plus visible, la pollution de l’air qui a des lourdes conséquences sur la santé urbaine, la place de l’espace urbain de vie, le temps utile, et le rôle du numérique, sont des nouveaux combats essentiels pour les années à venir.
C’est une nouvelle voie pour explorer cet univers de transformation de la vie qui sont les communs urbains des fonctions sociales indispensables à territorialiser en multi centralités à courtes distances : habiter, travailler, s’approvisionner, se soigner, s’éduquer, s’épanouir. Oui, car la prise de conscience de l’élargissement du combat pour nos communs urbains, se trouve au cœur de nos choix à venir : avec aussi l’eau, l’air, l’ombre, l’espace, le temps et le silence, ils seront au cœur des nouvelles batailles urbaines.
Battons-nous alors pour qu’ils soient pour tous !