Nos amis de La Mélée, une équipe animée par Édouard Forzy, fêtent leurs 20 ans.
Une belle tranche de vie, se trouvant entre deux siècles et à leur intersection une très grande révolution planétaire qui a transformé totalement nos vies, la révolution du numérique. Pour cette équipe qui œuvre sans cesse pour décoder ces mutations et qui sur le terrain s’implique pour les accompagner, je rappelle avec ces lignes mon amitié, mon soutien et mes encouragements. Je leur dis merci pour un engagement exceptionnel, et ils savent qu’ils peuvent compter sur moi.
De la naissance à la mort, le monde urbain est principalement l’univers, l’espace et le temps des humains. Naître dans une ville est déjà une appartenance à une culture urbaine, citadine, empreinte du rythme et du mode de vie des villes, métropoles, mégalopoles, de ces concentrations urbaines qui sont devenues des villes-monde. De l’enfance à l’adolescence, du passage à l’âge adulte et au vieillissement, plusieurs univers urbains de vie coexistent.
Dans ma vision de l’intelligence urbaine, c’est la qualité de vie en ville qui doit être au cœur de toute démarche d’innovation, et il y a trois domaines dans lesquels il faut innover de manière convergente : la réinvention de la ville, l’inclusion sociale, et les nouveaux usages, avec les apports des grandes révolutions technologiques en cours, traversées par le digital.
Les vrais enjeux de la transformation urbaine sont écologiques, sociaux et économiques, autour des citoyens, des humains. La technologie n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un levier, certes extrêmement puissant, de cette transformation.
Le XXIe siècle fait vivre à l’humanité pour la première fois, quatre révolutions technologiques majeures en simultané : numérique, biosystémique, robotique et nanotechnologique. Ces révolutions font naître de nouveaux enjeux auxquels il est aujourd’hui crucial de réfléchir. La révolution numérique, notamment, est en train de modifier profondément le phénomène urbain de par le monde. Cette dimension nous amène ainsi à ajouter un nouvel élément qui qualifie la ville du XXIe siècle, l’ubiquité ou la capacité à bénéficier d’une connexion technologique à tout moment, en tout lieu, en permanence.
Nous assistons aujourd’hui à la convergence de l’open-data, de la cartographie numérique, de la géolocalisation et de la co-construction de nouveaux services. Ce qui est intéressant à l’heure actuelle, ce n’est pas seulement le fait que les données soient ouvertes, mais qu’elles deviennent elles-mêmes sources d’information. Immergées dans un environnement socio-territorial, les données mobilisent les énergies et font naître ainsi de nouveaux services et usages. Transports à la demande, autopartage, mobilité multimodale, énergies décentralisées, valorisation du patrimoine, espaces publics urbains de convivialité, santé publique personnalisée, meilleure qualité de vie pour le troisième et le quatrième âge, éducation de masse en ligne, espaces ouverts de culture, d’art et de loisirs, démocratie participative sous des systèmes de gouvernance ouverts, systèmes d’information collaboratifs… : voilà quelques exemples de services qui sont en train de naître aujourd’hui, et qui feront la ville de demain une ville vivante, combinant l’intelligence urbaine, l’inclusion sociale et l’innovation technologique.
Faisons alors de telle sorte que le numérique soit alors un facteur de lien social, d’inclusion et non pas un facteur d’exclusion ou de génération des « zombie-geeks », ceux / celles qui sont massivement connecté.e.s et socialement déconnecté.e.s, avec le corollaire des bulles et fakes, pris comme des « vérités a priori ».
A l’heure du COVID19, qui met sous cloche la vie urbaine avec la distance physique comme seule manière d’arrêter sa viralité, vivre autrement, c’est avant tout changer nos rapports avec le temps, essentiellement celui de la mobilité, qui a dégradé fortement la qualité de vie par des déplacements coûteux à tout point de vue. Comment offrir aux urbains une ville apaisée en satisfaisant ses fonctions sociales urbaines indispensables ? Il est temps d’aller non plus vers l’aménagement de la ville, mais vers l’aménagement de la vie urbaine.
La ville du ¼ d’heure résume ma vision sur comment y accéder en proximité aux fonctions sociales urbaines essentielles. Vivre avec le COVID19 demande une ambitieuse politique urbaine avec une transformation radicale de nos modes de vie. Préserver notre qualité de vie, passe par d’autres rapports entre ces deux composantes essentielles : le temps et l’espace.
Il s’agit alors de rapprocher la demande de l’habitant de l’offre qui lui est proposée, d’assurer une mixité fonctionnelle en développant les interactions sociales, économiques et culturelles, d’assurer une densification non négligeable, tout en augmentant les espaces de rencontres et de brassage publics, d’optimiser la palette de services grâce au numérique et aux modèles collaboratifs et de partage, de faire devenir les rues des espaces de mobilités décarbonés par la découverte à pied ou en vélo, de réinventer les nouvelles hyperproximités, de redécouvrir la biodiversité dans son lieu de vie en encourageant des circuits courts.
C’est aussi mailler nos hyperproximités pour vivre dans nos villes avec des services publics de nouvelle génération, des services multimodaux et partagés. C’est aussi le défi de réinventer les communs urbains.
Oui, avec le changement climatique, les canicules, le stress hydrique de plus en plus visible, la pollution de l’air qui a de lourdes conséquences sur la santé urbaine, la place de l’espace urbain de vie, le temps utile, et le rôle du numérique, sont de nouveaux combats essentiels pour les années à venir.
C’est une nouvelle voie pour explorer cet univers de transformation de la vie qui sont les communs urbains des fonctions sociales indispensables à territorialiser en multi centralités à courtes distances : habiter, travailler, s’approvisionner, se soigner, s’éduquer, s’épanouir. Oui, car la prise de conscience de l’élargissement du combat pour nos communes urbaines se trouve au cœur de nos choix à venir : avec aussi l’eau, l’air, l’ombre, l’espace, le temps et le silence, ils seront au cœur des nouvelles batailles urbaines.
Bon anniversaire à La Mélée et bravo !
Carlos Moreno
Directeur scientifique Chaire ETI, IAE Paris – Université Panthéon Sorbonne