Une proximité heureuse pour une urbanité vivante
Paru dans la Revue T, N°3 « Rêvons nos villes », Février 2021
Nous voici depuis bientôt un an, après l’apparition du coronavirus, brutalement plongés dans la plus grande crise sanitaire de l’histoire moderne. De restriction en restriction, partout dans le monde, elle nous frappe au cœur de nos vies, la vie urbaine. Avec une issue encore incertaine, c’est un grand défi pour l’humanité qui est venu s’ajouter à cet autre qui hante nos vies également, le changement climatique. Voilà deux menaces qui sont bien présentes, qui se croisent, et qui sans doute aussi sont liées, dans ce monde de l’anthropocène. En effet, quand l’hyper activité humaine se fait au détriment de nos ressources, de la nature, de la biodiversité, du sol que nous arpentons, de l’air que nous respirons, de l’eau que nous buvons, de notre qualité de vie, c’est notre propre vie et même à terme notre survie en tant que civilisation qui est en jeu.
Paradoxalement, cette pandémie mondiale est aussi le révélateur d’un fait majeur de ce siècle, le rôle de nos villes. Peu importe leur taille, petites, moyennes, grandes, métropoles, mégalopoles, partout où le monde urbain est mis sous cloche, partiel ou totalement, la vie se fragilise, l’économie s’écroule, les relations sociales s’évanouissent, voire se tendent. Certains pensent que cette crise sonnera la fin de villes. Bien au contraire, ce bouleversement, nous rend évident la force des villes, l’expression de leur puissance. La phrase prémonitoire de Wellington Webb, ancien Maire de Denver et ancien président de l’Association de Maires des USA, lancée en 2007, se confirme jour après jour dans ces temps de crise : « le XIXème siècle a été celui des Empires, le XXème celui des États – Nations et le XXIème est celui des villes ». Mais cette crise confirme aussi, cette fragilité dont le penseur universel quasi centenaire Edgar Morin nous parle analysant la complexité de nos vies, « la ville est en moi et je suis dans la ville » car les villes, dans toutes ses expressions de la réalité urbaine, sont aussi porteuses de nos propres vulnérabilités et elles nous renvoient à nos propres dysfonctionnements. Dans un monde où la vie est fondée sur les interdépendances, nous n’avons jamais assisté à une telle démonstration des principes clés de la complexité. Cette axiomatique, que nous répétons sans cesse depuis tant d’années, s’avère parfaitement illustrée : nous vivons dans des “villes vivantes”, qui sont à la fois imparfaites, incomplètes et fragiles.
Nous vivons dans des villes fortement segmentées, socialement fracturées, économiquement inégales, spatialement repliées sur des modes de vies dépassés. Avec le COVID19, face à ces difficultés criantes, pour la première fois, réfléchir et agir sur la santé des citoyens demande non seulement de penser aux soins médicaux mais avant tout à offrir dans la durée un autre rythme de vie et une autre approche des interactions sociales. Cette pandémie oblige à ce que nous avons tant repoussé : vivre autrement, changer de mode de vie pour mettre au cœur d’autres rapports entre l’espace et le temps dans nos vies au quotidien. C’est la raison qui a rendue si populaire notre proposition de la ville des proximités, la ville du ¼ d’heure. Nous touchons le cœur de la problématique : face à la double crise actuelle, climatique et sanitaire, aller vers un changement radical de nos modes de vie, ici et maintenant. Nous nous interrogeons sur nos mobilités, sur la raison d’être de nos déplacements dont les temps de parcours ont déjà contribué non seulement à une grave détérioration de la qualité de vie, mais qui sont devenus une menace pour notre santé.
Cette question clé revient sans cesse : dans quelle ville voulons-nous vivre ? Avec la ville du ¼ d‘heure, je soutiens qu’il est temps de passer à un urbanisme par les usages, à celui de l’aménagement de la vie urbaine.
Partout nos villes sont les plus grandes concentrations d’activité humaine, mais elles sont encore guidées par le paradigme de l’ère du béton, du pétrole, rendant nos villes irrespirables par le triple effet des émissions produites par les bâtiments, les réseaux de chauffage et de refroidissement et les transports à essence.
Avec la ville des proximités, la ville du ¼ d’heure, nous voulons décloisonner la ville, la rendre poly centrique, multi servicielle, faire qu’elle devienne un vaste réseau de lieux pour la rendre vivante en tout lieu et moment pour que le temps utile soit un temps de vie.
C’est une autre manière de vivre dans la ville, dans toute la ville : de se la réapproprier, de retrouver ses ressources, l’espace public, de vivre, de consommer, de travailler, d’être en ville. C’est repenser la manière de la parcourir de l’explorer, de la découvrir.
La ville du ¼ d’heure c’est retrouver la proximité, son quartier, mais aussi d’autres quartiers voisins et des ressources que souvent nous ignorons. C’est quitter la mobilité subie pour aller vers la mobilité choisie. Les équipements déjà existants se verront changer de fonctions, d’usagers, de clientèles selon le jour et l’heure. C’est par cette vie de proximités, que nous pourrons reprendre du temps pour nous, pour notre famille, nos proches, nos voisins, nos amis, et nous occuper des plus fragiles.
La Ville du 1/4 d’heure, c’est quoi donc concrètement ? C’est la ville des proximités où l’on trouve tout ce dont on a besoin à moins de 15 minutes de chez soi. Nous voulons que la vie soit présente partout dans la ville et pas uniquement à certaines heures et dans certains lieux, dans les rues, places, jardins, parcs, squares, berges, boulevards, mais aussi ses murs, aires de jeux, lieux de culture, kiosques à musique, etc…
Comment gagner du temps ? Il s’agit d’œuvrer pour faciliter l’accès en proximité à six fonctions sociales essentielles, qui nous rendent heureux de vivre dans la ville : habiter dignement, travailler dans des conditions correctes, s’approvisionner, le bien-être, l’éducation et les loisirs avec des ressources et des services toujours plus proches de chez soi.
Alors dans la ville du ¼ d’heure nous pouvons donc manger, faire nos courses, nous soigner, se divertir, se dépenser mais aussi nous œuvrons pour changer notre manière de travailler, pour pouvoir le faire de plus en plus autrement, au plus près de son domicile, en changeant le rythme de vie. Oui, à pied ou à vélo, avec une mobilité bas-carbon. Les temps du COVID19 nous ont montré que nous pouvons aussi télé travailler, chez soi, ou encore mieux, près de chez soi, aller moins au bureau, diminuer nos jours ou nous heures de présence. Nous allons vers une nouvelle révolution urbaine, celle du travail et la ville du 1/4 d’heure sera un accélérateur. Les tours et bâtiments de bureau sont condamnés à laisser la place à un autre siècle, celui du travail décentralisé et des bâtiments multifonctions. Du « co working » au « corp-working », une autre ère s’ouvre pour l’immobilier de bureaux, qui a longuement façonné nos villes.
La ville du ¼ d’heure, c’est aussi faciliter et encourager le maintien et l’installation de commerces et services de proximité. C’est mieux pour la vie économique et social que faire nos achats par Internet. Les rues sont ainsi plus fréquentées, rendues piétonnes, plus vivantes et paisibles. Pour que tout soit proche, nous transformons des endroits déjà existants en lieux multi-usages. Oui, chaque m2 déjà construit doit servir à pouvoir faire des choses très différentes. Utiliser plus et mieux tout ce qui a été déjà construit, c’est une règle d’or de la ville du ¼ d’heure. Les écoles et les collèges – peuvent ouvrir le week-end.
La ville du ¼ d’heure répond aux contraintes de la crise sanitaire du COVID19 : vivre dans la ville en diminuant les risques de massification en particulier dans les transports, éviter aussi le retour à la voiture individuelle, terreau de propagation virale par la pollution de l’air, tout en développant l’intensité du lien social.
La ville de proximité, est une manière concrète de faire une ville humaine et écologique : moins de déplacement, plus de gens qui se disent bonjour, on fait plus attention à la nature. On développe l’amour des lieux pour que chacun de nous fasse attention aux endroits que nous fréquentons. La Ville du ¼ d’heure, valorise les services de proximité, invite à fréquenter des espaces publics partagés où l’on a un brassage de gens différents, une mixité intergénérationnelle. C’est aussi connaître les gens qui vivent autour de soi. Peut-être que mon voisin est professeur de mandarin, et si je l’avais su, ça m’aurait évité de me rendre à 40 minutes à l’autre bout de la ville pour suivre mes cours.
Avec cette ville de proximités, la ville du ¼ d’heure c’est aussi l’occasion de montrer, qu’une ville ne s’anime pas par ses voitures, mais bien par ses habitants. Tandis que nos voitures sont immobilisées, c’est à pied que les voisins se croisent et se découvrent. Vous imaginez le temps gagné en termes de déplacements, si un espace vert, une crèche, une école et un coiffeur se trouvaient proches de chez vous ? Un boulanger, un vendeur de légumes, une épicerie, un boucher et un poissonnier pourraient vous éviter l’hypermarché en voiture et vous offrir des produits sains en circuit court avec moins d’intermédiaires ?
Oui, dans la ville du ¼ d’heure nous vivons plus directement la possibilité de rencontrer l’autre, pour aller dans le sens du respect mutuel, de nous parler, de faire connaissance, de sortir de l’anonymat. Se dire bonjour est aussi entamer un dialogue qui permet à chacun de sortir de son propre isolement. C’est également de l’entraide, redécouvrir les gens avec une couleur, religion, culture, différentes. Avec cette autre manière de vivre dans la ville c’est construire au quotidien une nouvelle culture urbaine, une nouvelle urbanité de la proximité pour recréer du lien social.
C’est tout cela la ville du ¼ d’heure ; la ville à l’échelle humaine ; avec l’humain au bout de la rue !