À l’occasion de la Journée mondiale de l’habitat, célébrée le lundi 7 octobre au Mexique, il est essentiel de réfléchir à l’avenir de nos villes au-delà de 2030. Aujourd’hui, dans un monde bouleversé par la violence des guerres, menacé par le changement climatique et par des modes de vie qui compromettent la durabilité, tout en étant traversé par des inégalités économiques et sociales profondes, l’équilibre des villes est crucial pour tracer un avenir hors de la dystopie qui se profile.
Je voudrais attirer l’attention sur une crise mondiale qui représente une véritable bombe à retardement dans nos villes, tant au Nord qu’au Sud : la crise du logement. Selon les Nations Unies, 1,6 milliard de personnes vivent actuellement dans des logements précaires ou inadéquats. Cela représente environ 20 % de la population mondiale. Cette situation force de plus en plus de travailleurs à s’installer en périphérie des centres urbains, aggravant les tensions sur le marché du travail. Malheureusement, ce chiffre alarmant est appelé à doubler d’ici 2050, en raison de l’urbanisation rapide et de la croissance démographique.
Cette crise du logement est systémique et produit de multiples impacts. Alors que la crise du logement affecte déjà sévèrement les classes moyennes, qui peinent à trouver des logements abordables, les conséquences sont encore plus dramatiques pour les personnes à faibles revenus. Pour ces personnes, se loger devient un défi quotidien, synonyme de précarité financière et d’appauvrissement. Face à la flambée des loyers, elles sont souvent contraintes de consacrer une part disproportionnée de leur revenu au logement – parfois plus de 50%, voire 60% dans certaines grandes villes. Cette situation les oblige à réduire drastiquement d’autres dépenses essentielles, comme l’alimentation, la santé ou l’éducation, ce qui entraîne des conséquences graves pour leur bien-être et leur sécurité alimentaire.
Pour les personnes âgées ou encore des femmes seules tête des familles, ayant des besoins spécifiques en matière de logement, la situation est tout aussi critique. En raison de leur faible revenu ou de leur pension souvent insuffisante, ces personnes font face à un risque accru de déménagement forcé. Le manque de logements adaptés et abordables les pousse souvent à emménager dans des habitations plus chères, de qualité inférieure, et éloignées de leurs réseaux sociaux et de soutien, ce qui augmente leur isolement et leur vulnérabilité. Nous pouvons rajouter également la « grande précarité énergétique », y compris pour des personnes âgées vivant dans des logements mal isolés et coûteux à chauffer.
Ces déplacements imposés renforcent les fractures sociales et contribuent à la ségrégation urbaine, car les ménages à faibles revenus se voient repoussés de plus en plus loin des centres-villes et des zones dynamiques, là où se concentrent les opportunités d’emploi, les services et les infrastructures de qualité. Cela a également des effets sur le marché du travail : des personnes qualifiées, travaillant dans des secteurs en tension comme la santé, l’éducation ou les services publics, peinent à trouver des logements abordables à proximité de leur lieu de travail. En conséquence, la crise du logement ne se limite pas à un simple manque d’accès au logement ; elle a des effets systémiques sur la cohésion sociale, la santé, l’économie locale, et la durabilité des villes.
Face à ces enjeux, une action concertée est nécessaire. Nous devons promouvoir des politiques d’habitat inclusives et abordables, et repenser nos modèles urbains pour garantir un accès équitable à des logements décents. C’est un défi de taille, mais il est crucial pour bâtir un avenir durable et équitable pour tous.
La priorité vers la proximité des services est un levier clé pour renforcer la résilience face à la crise du logement et aux défis urbains actuels. Vivre à proximité des services essentiels, tels que les écoles, les centres de santé, les commerces, les espaces verts et les transports publics, apporte une multitude d’avantages qui répondent directement aux enjeux de durabilité, d’inclusion sociale et de qualité de vie.
Tout d’abord, la proximité réduit la dépendance aux véhicules individuels et, par conséquent, les coûts de déplacement. Pour les familles vivant loin des centres urbains, les temps de trajet et les dépenses liées au transport représentent une part importante de leur budget. Réduire ces distances et intégrer les services dans les quartiers de vie permet de réduire ces coûts, ce qui est particulièrement crucial pour les ménages à faible revenu. Cela favorise également un mode de vie plus sain, encourageant les déplacements actifs (à pied, à vélo) et limitant les émissions de CO2, contribuant ainsi à lutter contre le changement climatique.
Ensuite, un meilleur accès aux services publics et privés renforce l’équité sociale. Lorsque les services essentiels sont proches, les populations les plus vulnérables, comme les personnes âgées, les enfants ou les personnes à mobilité réduite, peuvent accéder plus facilement aux ressources dont elles ont besoin. Cette proximité renforce la cohésion sociale, encourage la mixité et réduit les inégalités en offrant à tous des opportunités similaires d’accès aux soins, à l’éducation, et aux loisirs.
De plus, la proximité favorise la résilience économique des quartiers. Un tissu local dense de services, de commerces, de petites entreprises et d’artisans crée des emplois de proximité et stimule l’économie locale. Les quartiers bien dotés en services sont plus résistants face aux chocs économiques, car ils génèrent des circuits courts de production et de consommation, rendant les communautés plus autonomes et moins dépendantes de flux économiques extérieurs.
Enfin, l’accès facile aux services est un facteur clé pour la qualité de vie. La proximité encourage les interactions sociales, renforce les liens de voisinage, et favorise un sentiment d’appartenance et de sécurité. Les personnes ont plus de temps pour les activités sociales, culturelles ou familiales, ce qui contribue à leur bien-être global.
Ainsi, la proximité des services est un outil puissant pour développer des villes plus résilientes, capables de faire face aux crises sociales, économiques et climatiques. Elle permet de créer des environnements urbains inclusifs, durables, et adaptés aux besoins de tous les citoyens, tout en offrant des solutions concrètes à la crise du logement et aux défis urbains du XXIe siècle.
Dans cette approche pour créer une proximité multi services dans une ville à vocation polycentrique et interconnectée, une politique de moyen et long terme doit voir le jour permettant d’avoir des logements disponibles et abordables tout en favorisant la mixité sociale mettant en place une combinaison de politiques et de mesures innovantes.
La « proxilience », ou l’économie géographique de la proximité durable, s’impose comme une stratégie urbaine centrale pour renforcer la résilience des villes face aux défis systémiques d’aujourd’hui. En se concentrant sur la proximité polycentrique, cette approche vise à créer des environnements urbains où les habitants ont un accès rapide aux services essentiels, où l’économie locale est robuste, et où la mobilité est fluide, contribuant ainsi à une meilleure cohésion sociale et à une moindre dépendance aux ressources extérieures.
En favorisant une économie de proximité, la « proxilience » met en avant les circuits courts et la revitalisation des quartiers. Le rapprochement des lieux de production, de vente et de consommation permet de réduire les coûts de transport, les émissions de gaz à effet de serre, et de limiter la dépendance aux chaînes d’approvisionnement mondialisées, fragiles face aux crises. Développer les commerces locaux, les marchés de producteurs et les activités artisanales, renforce le tissu économique urbain tout en stimulant l’emploi. Selon l’OCDE, renforcer les économies locales peut réduire la dépendance aux importations jusqu’à 30%, ce qui accroît la résilience économique face aux perturbations mondiales.
La proximité contribue également à une meilleure inclusion sociale. En intégrant la mixité sociale et fonctionnelle dans les quartiers, elle assure à chaque habitant un accès équitable aux services, comme les écoles, les centres de santé, les commerces ou les loisirs. Cette démarche contribue au développement de liens de solidarité et de réseaux de soutien dans les communautés, ce qui améliore la cohésion sociale et offre à tous des opportunités économiques plus équitables. D’après la Banque Mondiale, les villes favorisant la proximité renforcent l’accès des populations marginalisées aux services et aux emplois, tout en améliorant les interactions sociales et la qualité de vie.
En matière de mobilité, la « proxilience » mise sur des modes de déplacement doux et inclusifs, tels que la marche, le vélo ou les transports en commun, réduisant la dépendance à la voiture individuelle. Cela a pour effet de diminuer les embouteillages, d’améliorer la qualité de l’air et de libérer de l’espace pour des usages conviviaux comme les zones piétonnes, les pistes cyclables ou les espaces verts. Les villes investissant dans la mobilité douce ont réduit leurs émissions de CO2 liées aux déplacements de 15 à 20%, tout en améliorant la santé et le bien-être de leurs habitants.
Nous promouvons aussi cette approche comme une réponse efficace à la crise du logement. En promouvant des quartiers multifonctionnels, elle facilite la construction de logements variés (sociaux, abordables, familiaux), tout en favorisant leur intégration dans un tissu urbain vivant et connecté. Cela permet de rapprocher les habitants des services, d’alléger les dépenses liées au transport, et de libérer des ressources pour d’autres besoins essentiels. La proximité des logements avec les services et les opportunités économiques contribue ainsi à la mixité sociale, à l’équité, et à la résilience.
Sur le plan alimentaire et énergétique, cette proximité encourage la durabilité locale. La création de jardins urbains, de fermes verticales et de coopératives alimentaires renforce l’autonomie des quartiers et réduit la dépendance aux produits importés. L’usage des énergies renouvelables locales, comme les panneaux solaires ou les réseaux de chaleur urbains, augmente la résilience énergétique des villes face aux chocs climatiques et aux fluctuations des marchés.
Enfin, la « proxilience » représente une réponse aux chocs globaux par une résilience locale. En misant sur des réseaux locaux de solidarité, une économie diversifiée et des services publics accessibles, les villes se donnent les moyens de surmonter les crises sociales, économiques ou climatiques. Cette vision permet aux communautés de s’adapter rapidement, de protéger leurs habitants, et de maintenir une qualité de vie élevée. La proximité durable devient ainsi un outil puissant pour bâtir des villes inclusives, autonomes, et durables, où la qualité de vie, l’équité et la durabilité sont au centre de l’aménagement urbain.
Voici dix pistes qui, dans cette démarche, peuvent contribuer à développer une approche globale de l’habitat, apportant ainsi une réponse à la crise systémique du logement.
1. Encourager la construction de logements sociaux et abordables
La construction de logements sociaux et abordables doit être une priorité pour répondre aux besoins des populations à faibles et moyens revenus. Les politiques publiques peuvent stimuler cette construction en imposant des quotas de logements abordables dans chaque nouveau projet immobilier, et en offrant des incitations fiscales ou des subventions aux promoteurs immobiliers qui s’engagent dans ce type de développement.
2. Miser sur la mixité dans les programmes de logement
La mixité sociale et fonctionnelle doit être intégrée dans la planification urbaine dès la conception des projets de logement. Il s’agit de concevoir des quartiers accueillant une diversité de ménages en termes de revenus, de situations familiales, et de cultures. Cela peut passer par la construction de logements variés (logements sociaux, logements intermédiaires, logements pour étudiants ou personnes âgées, etc.) dans un même quartier. Cette mixité crée des communautés plus dynamiques, inclusives, et résilientes.
3. Renforcer la rénovation, réhabilitation, transformation, multi usages pour plus de logements
Outre la construction de nouveaux logements, la transformation des lieux mono fonctionnelles vers une adéquation pour offrit plus de logements en mixité sociale, fonctionnelle et d’usage est essentielle. Cela inclut la rénovation des bâtiments anciens pour les rendre habitables, énergétiquement efficaces, et abordables pour augmenter l’offre de logements disponibles à des coûts modérés.
4. Promouvoir le logement participatif et l’habitat coopératif
Les modèles de logement participatif et coopératif offrent des alternatives intéressantes pour créer des logements abordables tout en favorisant la mixité sociale. Dans ce type de modèle, les habitants sont impliqués dans la conception et la gestion de leur habitat, ce qui permet de réduire les coûts de construction et de garantir un environnement inclusif et solidaire. L’habitat coopératif permet également de préserver les logements de la spéculation immobilière en favorisant des modèles de propriété collective ou de location à long terme.
5. Encadrer les loyers et lutter contre la spéculation immobilière
Dans de nombreuses villes, la hausse des loyers et la spéculation immobilière rendent les logements inaccessibles pour une grande partie de la population. L’encadrement des loyers, à travers des politiques de plafonnement des prix ou de contrôle des augmentations, peut contribuer à stabiliser les coûts du logement. Parallèlement, lutter contre la spéculation et les investissements à but purement lucratif (comme les résidences secondaires ou les biens achetés pour être laissés vacants) permet de libérer davantage de logements sur le marché locatif.
6. Innover avec des modèles de financement et de propriété
Les modèles alternatifs de financement et de propriété peuvent jouer un rôle clé dans l’accessibilité des logements. Par exemple, la location-accession (ou “leasing”) permet aux ménages d’acquérir un logement progressivement, tandis que les “community land trusts” (fiducies foncières communautaires) garantissent la propriété collective du sol et laissent les logements en location abordable. Ces modèles offrent une flexibilité qui peut s’adapter aux besoins des différentes catégories sociales.
7. Développer des partenariats public-privé
La collaboration entre les secteurs public et privé est indispensable pour la mise en œuvre de projets de logement abordables. Les partenariats public-privé peuvent mobiliser des ressources financières, foncières, et techniques pour développer des logements à coût modéré. En échange, les autorités publiques peuvent mettre en place des obligations pour assurer que ces projets contribuent à la mixité sociale et respectent des critères d’accessibilité et de durabilité.
8. Utiliser les terrains publics pour créer du logement abordable
Le foncier représente une part importante du coût du logement. Les collectivités locales peuvent favoriser le développement de logements abordables en mettant à disposition des terrains publics à des conditions avantageuses, à condition que ces projets respectent des critères d’accessibilité financière et de mixité sociale. Cela permet de réduire les coûts de construction et de garantir un accès équitable au logement.
9. Rendre les quartiers plus attractifs et bien desservis
Pour favoriser la mixité sociale, il est crucial de développer des quartiers qui offrent une qualité de vie élevée, des services accessibles (écoles, centres de santé, commerces), des espaces publics de qualité, et des transports en commun efficaces. La mixité sociale sera d’autant plus facile à atteindre si tous les quartiers d’une ville, et pas seulement le centre, offrent des conditions de vie satisfaisantes, permettant aux ménages de différents niveaux de revenus de s’y installer et de s’y épanouir.
En combinant ces différentes stratégies, il est possible de favoriser la création de logements abordables tout en encourageant la mixité sociale, contribuant ainsi à des villes plus inclusives, résilientes, et équitables.
10. Lutter contre les logements inoccupés et la spéculation touristique liée aux plateformes de location
Un facteur majeur contribuant à la crise du logement est l’augmentation des logements inoccupés ou détournés pour des locations touristiques de courte durée via des plateformes en ligne (comme Airbnb). Dans de nombreuses villes, ces logements, initialement destinés aux résidents permanents, sont transformés en locations temporaires, entraînant une diminution de l’offre de logements disponibles à long terme et une hausse des loyers.
L’habitat intégral va bien au-delà du simple fait de se loger ou de disposer d’un toit et de quatre murs. Vivre véritablement en ville signifie habiter dignement, avec un accès aux services essentiels, dans des quartiers inclusifs favorisant la mixité sociale. C’est adopter une approche centrée sur la proximité, où les courtes distances deviennent la clé pour une meilleure qualité de vie, une cohésion sociale renforcée, et un environnement urbain durable et résilient. C’est une démarche d’avenir qui appelle à développer des politiques publiques cohérentes pour atteindre cet objectif : construire une véritable ville pour tous !
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*Directeur scientifique de la Chaire ETI, IAE Paris Sorbonne, Université Paris1 Panthéon Sorbonne