Par le Pr C.Moreno – Février 2013

La ville est un lieu d’agrégation d’être humains dont les besoins vitaux, d’épanouissement et de développement se croisent de multiples manières. Elle est un système complexe, au sens étymologique du terme, du latin complexus, « entrelacé ».

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Les individus, comme les systèmes qui composent une ville, n’existent qu’en lien les uns avec les autres. Au niveau de la métropole, cette complexité est encore renforcée du fait du changement d’échelle.

Dans la ville il y a ainsi une multiplicité des besoins, d’usages, des services, des flux : l’alimentation, l’habitat, l’environnement, l’éducation, la culture, les transports, la santé, la sécurité, l’énergie, les déchets, la communication etc.

Chaque ville évolue dans son propre contexte, à son rythme, qui varie également. D’une ville à une autre les contextes sont différents, de nature culturelle, géopolitique, historique, religieux… et ils façonnent ainsi les nombreuses caractéristiques de la ville et de ses habitants.

La ville doit offrir toute une gamme de services pour mettre en cohérence les habitants et leur environnement, pour mieux vivre, mieux se loger, se déplacer, se nourrir etc.

Or la planète a dépassé les 7 milliards d’habitants et pour la première fois depuis l’histoire de l’humanité plus de 50% d’entre eux habitent en ville, atteignant en Europe même 77%. En 2030 sur 8,3 milliards d’humains, près de 5 milliard seront des urbains.

ville_intelligente4Des défis jamais rencontrés auparavant se posent ainsi aujourd’hui à l’ensemble de l’humanité, concernant sa survie elle-même. De nouveaux besoins de vie, alimentaires, de santé, climatiques, de mobilité, etc… s’imposent et demandent des réponses qui doivent se projeter face à ces environnements changeants, avec une nature menacée qui nous confronte elle aussi à des situations inédites.

Dans ma vision, une ville est aussi un système vivant, qui se développe dans le temps. Comme tous les organismes vivants, elle obéit donc à deux tendances, qui sont l’essence même de la complexité : d’une part, elle doit satisfaire ses besoins pour croître. Toute ville a pour fonction de satisfaire les besoins vitaux de ses habitants et leur quête de bien-être. D’autre part, elle est soumise à un certain nombre d’aléas qui la rende fragile : tempêtes, pannes, incendies, attentats, épidémies etc. La ville doit donc être donc à la hauteur de besoins et exigences de ses habitants et elle doit être aussi résiliente, c’est-à-dire être capable de surmonter ces aléas.

Ma croyance profonde est que ce ne sont pas les avancées technologiques qui créent ces nouveaux usages, mais qu’elles viennent y répondre en satisfaisant des besoins existants ou en aidant à en créer de nouveaux.

ville_intelligente1La métropole intelligente de demain sera habitée par des citoyens « intelligents », c’est-à-dire connectés et informés, grâce aux avancées du numérique quand il est au service de la vie citoyenne et des usages urbains.

Les relations entre les hommes, quels que soient leur habitat, us et coutumes se voient profondément modifiées partout sur la planète par l’instantanéité, l’ubiquité, la puissance de l’informatique diffuse, du maillage massif de l’internet des hommes et des objets.

Le capillaire massivement numérique et les réseaux sociaux abolissent les distances, la métrique entre les humains et les voisinages virtualisés deviennent planétaires… Les nouvelles technologies marquent ainsi profondément et durablement leur présence par la prise de connaissance immédiate du quotidien de chacun; l’ici et le maintenant sont déjà sans frontières.

L’usage quotidien des nouvelles technologies, qui se banalisent partout dans le monde, est devenu incontournable dans l’adaptation de la ville et de ses habitants aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. La ville devient interactive, communicante.

Chacun pourra contribuer via les réseaux sociaux à l’élaboration des services publics et l’on verra sans doute émerger de nouvelles façons de vivre. Car nous sommes également en train d’assister à une révolution des modes d’organisation : les systèmes hiérarchisés et verticalisés sont progressivement remis en question, car aujourd’hui avec la diffusion massive et horizontale des informations, chacun peut s’approprier les compétences et prendre les décisions.

Nous sommes avec l’utilisation de la technologie au services des usages citoyens au début d’une tendance profonde, qui va créer des services et des usages radicalement nouveaux, mais aussi bouleverser la façon dont les villes et les métropoles répondent aux besoins vitaux et de bien-être de leurs habitants et font face aux aléas qu’elles subissent.

On voit déjà apparaître de nouvelles façons de se déplacer par exemple, qui répondent à nos besoins de consommer moins d’énergie : les systèmes d’information intelligents qui nous renseignent en temps réel pour favoriser le report modal vers les transports en commun, l’auto-partage, le co-voiturage etc.

Demain, on peut imaginer par exemple que la carte d’abonnement au système urbain de véhicules électriques servira aussi pour le vé’lib, les transports en commun, le cinéma, le retrait bancaire ou autre.

Des capteurs installés sur les véhicules permettront de créer de l’information en temps réel pour renseigner sur l’état du trafic, alimenter des bases de données pour calculer des temps moyens de parcours, etc.

De même dans le domaine de la santé, notamment en ce qui concerne la lutte contre la dépendance et le maintien de l’autonomie : il y aura sans doute la généralisation des réseaux sociaux dédiés aux aidants familiaux ou destinés à renforcer les liens de voisinage, de solutions pour désengorger les consultations médicales et de façon générale pour renforcer la prévention ou enrichir le quotidien.

On pourra aussi identifier plus facilement les zones de précarité sociale par exemple, en suivant leurs seuils de consommation énergétique ou leurs temps de transport, afin de leur prêter une plus grande attention.

La révolution numérique est en marche, et elle va se poursuivre à un rythme de plus en plus rapide.

ville_intelligente2Mais ce n’est pas la technologie qui fera la métropole de demain, ce sont les usages et les besoins qu’elle permettra de satisfaire.

Dans ma vision, il est crucial d’apporter à la ville et ses habitants une intelligence ambiante distribuée, pertinente, disponible et accessible à tout moment, à chaque instant et dans tout lieu, pour qu’elle soit auto-adaptative, auto-apprenante, robuste, auto-réparatrice, auto-reproductrice.

Dans ma vision, nos villes, environnements complexes, devront ainsi devenir des écosystèmes transverses, ouverts, évolutifs, adaptatifs permettant à l’homme de s’épanouir.

Les défis énergétiques et l’émergence de la ville décarbonnée imposent de mettre le développement durable au cœur de la vie de la cité. La cité du futur, que nous bâtissons chaque jour, est guidée aussi par le besoin impératif de mutualiser et d’optimiser ses ressources.

Notre devoir est de mobiliser ainsi la communauté de tous les acteurs de la ville (décideurs, élus, académiques, chercheurs, industriels, citoyens…) pour réfléchir et partager nos visions, au travers le monde, de manière collaborative et transverse, afin d’anticiper ensemble les enjeux et solutions de demain.

Comprendre la fragilité de la ville, penser la ville comme un lieu de vie hautement sensible, se projeter dans sa fragilité, rendre la ville plus légère, la rendre plus accessible, la faire devenir résiliente face aux aléas sont des enjeux essentiels pour les années à venir

Dès aujourd’hui, il nous faut construire des éco-systèmes transcdisciplinaires, en faisant dialoguer des ingénieurs, philosophes, urbanistes, sociologues, architectes, designers, industriels…

C’est pour ces raisons fortes, urgentes mêmes, que j’ai décidé d’accepter la Présidence du Comité Scientifique de la Conférence internationale 5 Plus City Forum “Ma Ville, ma Vie, dans 5 ans” qui aura lieu à Issy les Moulineaux le 20 et 21 mars 2013.

C’est l’esprit qui m’anime, m’entourant des experts mondiaux de tous horizons, venant du monde entier, pour échanger ensemble.

L’objectif, essentiel, est de promouvoir un espace de dialogue à très haut niveau, un espace de réflexion commun, un espace d’échange pour tous, sur notre vision de la ville, de ses modèles, de ses évolutions et de ses projections à 5 ans, à 10 ans, pour imaginer la ville et ses habitants dans leur devenir.

Tous ensemble, de manière pérenne, nous devons explorer des pistes autour de concepts forts, de rupture, pour être force de propositions dans cette transformation inévitable de nos villes afin de les rendre meilleures à vivre.

La ville intelligente, numérique, durable sera une ville des services et des usages citoyens, ou elle ne sera pas.